Depuis 10 ans, Katie Melua nous berce avec sa voix délicate et ses mélodies douces.
Le 16 septembre dernier, elle publiait un sixième album très personnel intitulé “Ketevan”, en référence à son prénom géorgien.
Produit par Mike Batt, son acolyte de toujours, et Luke Batt, le fils de Mike, le résultat est varié, du blues sensuel de “Shiver and Shake”, à la pop vintage de “Mad, Mad Men” en passant par la ballade avec “I Never Fall”.
Jeudi dernier, j’ai eu la chance de rencontrer la plus géorgienne des anglaises…
Il y a 10 ans, tu sortais ton premier album “Call Off The Search”. Qu’est-ce qui a changé en toi et dans ta musique depuis cet album ? As-tu l’impression d’être une Katie différente de celle que tu étais il y a 10 ans ?
Oui bien sûr ! L’expérience m’a fait changer. Avant, j’avais un peu d’expérience mais tout ce qui m’est arrivé depuis 10 ans a ajouté de nouvelles facettes à mon caractère, en me construisant au fur et à mesure.
En réalité, c’est ma musique qui a le plus changé avec le temps. On apprend tellement, à chaque concert, en jouant avec différents musiciens, avec son propre groupe, à chaque nouvel album, en travaillant avec différents producteurs. J’ai travaillé principalement avec Mike Batt, mais également avec William Orbit. C’est difficile de repérer avec exactitude les changements qui se sont opérés. Le mieux est encore de comparer le premier album « Call Off The Search » avec le dernier album « Ketevan ».
Justement, sur ton dernier album « Ketevan », tu sembles plus libre. Tu te dévoiles davantage. Est-ce que c’est ce que tu voulais créer sur cet album ou t’en es-tu aperçue après coup ?
Je n’avais pas fixé d’objectifs pour cet album. J’avais simplement quelques envies. Je voulais vraiment revenir à l’écriture car cela faisait longtemps que je ne m’étais pas prêtée à l’exercice. Je voulais également capturer le côté plus énergique et vocal de ce que je fais sur scène, ce que je n’avais jamais réussi à faire sur un album auparavant. Avec cet album, j’ai vraiment la sensation que nous sommes enfin arrivés à capturer cette énergie. Et bien sûr, je voulais jeter un coup d’œil en arrière, retrouver mes racines géorgiennes, faire mon bilan de ces 10 ans de carrière.
Il y a un peu de chacun de tes albums dans « Ketevan » ?
Oui, il me semble et c’est aussi la raison pour laquelle les morceaux sont très différents les uns des autres sur cet album.
Tu as débuté grâce à l’aide de Mike Batt, qui est devenu ton binôme d’écriture mais également ton producteur et manager. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Je l’ai rencontré alors que j’étudiais à la BRIT School, une école de musique en Angleterre. Tous les mardis, l’école organisait des auditions. Des professionnels de l’industrie musicale venaient à la recherche de nouveaux talents : musiciens, chanteurs, acteurs… Mike est venu au début de ma deuxième année. Je venais juste d’apprendre à jouer de la guitare pour accompagner la chanson que j’avais écrite en hommage à Eva Cassidy. Mike est un grand fan d’Eva Cassidy. Cela nous a rapprochés. Je lui ai joué mes chansons et il a été emballé.
Ensuite, il m’a invité chez lui avec ma mère pour écouter ses compositions. J’avais seulement 18 ans. J’ai grandi avec la génération « pop », celle qui a adulé les Spice Girls, Britney Spears… Je n’avais jamais vraiment été exposée à de la musique acoustique ou à des morceaux à la construction plus traditionnelle. Mike nous a présenté des chansons sublimes: « Call Off The Search », « My Aphrodisiac Is You », des morceaux avec une influence très jazz-blues. Nous avons commencé à travailler dans son studio et petit à petit, nous sommes devenus amis et on a réalisé que notre collaboration était productive.
Sur cet album, tu travailles également avec le fils de Mike, Luke !
Luke avait 14 ans quand je l’ai rencontré pour la première fois. Il a bien évidemment hérité de connaissances musicales solides par son père mais il a surtout amené son propre univers sur cet album. Il a apporté quelque chose de neuf vu son âge, la génération dans laquelle il a grandi. Nous avons commencé à travailler ensemble sur mon précédent album « Secret Symphony » dont il était l’ingénieur du son. Il est très pointu techniquement. Il apporte une grande attention à la position des microphones par exemple. Il vérifie sans cesse que le son soit bien capturé. Il est vraiment doué.
Alors que nous terminions « Secret Symphony », nous cherchions d’autres titres à insérer sur l’album. Nous en avions un en particulier que nous voulions ajouter. Nous l’avons donné à Luke pour qu’il le mixe, histoire de faire un test. Le résultat était superbe mais le son ne correspondait pas à l’ambiance de « Secret Symphony ». C’était le morceau « Sailing Ships from Heaven ». Nous avons donc repris ce morceau comme base de l’album « Ketevan ».
Le travail formidable que Luke a fait avec l’album « Secret Symphony » a apporté beaucoup de fraîcheur à la collaboration entre Mike et moi et nous voulions garder cela sur « Ketevan ».
C’est une collaboration que l’on retrouvera sur tes prochains albums, ce trio créatif ?
Oui, pourquoi pas ! Ce n’est définitivement pas quelque chose que je peux refuser ! Je suis si fière de l’album. Et l’écriture a été très intéressante. Mike m’y a beaucoup encouragée. Cela s’est avéré plus difficile pour moi que ce à quoi je m’attendais. J’ai mis du temps à apprendre. J’ai travaillé avec Mike et Luke mais j’ai également appris avec Toby Jepson. Ce furent d’excellentes collaborations.
As-tu une chanson préférée sur cet album ?
Non pas vraiment, c’est difficile de choisir ! J’aime « Shiver and Shake », « Love I’m Frightened Of », « I Never Fall »…
A ce propos, “I Never Fall” est une chanson particulièrement étonnante. Pourrais-tu en expliquer l’origine?
Cette chanson a été inspirée par deux choses. Tout d’abord, l’année dernière, j’ai découvert chez un ami un tableau représentant une personne au bord de ce qui semblait être une montagne. Le tableau était assez déroutant. On ne savait pas vraiment si la personne tombait ou sautait, quelle était l’histoire de ce personnage. Par ailleurs, je me suis toujours intéressée aux subtilités de langage. Etant bilingue, je m’interroge toujours sur l’origine de certaines expressions, comment elles ont été construites. C’est le cas de l’expression « Tomber amoureux ». Pourquoi dit-on « TOMBER amoureux » ? Cela implique tellement de choses. Je voulais décortiquer cela et jouer avec, linguistiquement parlant. Donc je ne « tombe » pas amoureuse, je « saute » amoureuse !
On retrouve également cette façon de jouer avec les mots dans l’écriture de Mike Batt.
Oui, Mike est fort à ce jeu-là. C’est une façon particulière d’écrire. Toby Jepson m’en a également apprise une autre : ne pas rentrer pas les détails, donner simplement l’impression générale. Ce sont deux manières très différentes d’écrire et je les trouve toutes les deux vraiment passionnantes.
Aurais-tu un conseil à donner aux musiciens et artistes qui se lancent et rêvent d’une carrière comme la tienne ?
Quand on me pose cette question, en général je réponds de façon assez dramatique. Pour réussir, il faut se sentir capable de tuer, de sacrifier tout ce que tu as et de te concentrer uniquement sur cet objectif. Ma réponse s’applique à tous les domaines et pas seulement au fait de devenir artiste. Il y a tellement de personnes talentueuses. Il faut proposer quelque chose d’unique : trouver en quoi les autres ne sont « pas doués », quelque chose que TU fais vraiment bien. Je ne sais pas exactement ce que je fais mieux que les autres, peut-être que je ne fais rien de mieux… Peut-être simplement que ce que je propose est différent et que c’est ce qui encourage les gens à venir vers moi.
Depuis le début, tu es sous le label « Dramatico », le label créé par Mike Batt. En quoi ce label t’a-t-il aidé à te lancer ?
C’est vraiment agréable d’être indépendant. Lorsque j’ai commencé, il n’y avait que le bureau de Mike et deux personnes travaillaient pour le label. Maintenant, il y a 13 personnes dans le label. Vu que c’est un petit label, je fais partie de leurs artistes les plus importants. L’attention et le soutien qu’ils me portent constamment sont précieux. Comme il n’y a pas d’actionnaires, pas de conseil d’administration, je collabore directement avec Mike. Je n’ai qu’à lui passer un coup de fil : « Mike, peut-on sortir ce morceau-là en single ? ». Il me dit « oui » ou « non ». Je peux ensuite essayer de le convaincre directement. C’est aussi simple que cela !
Selon toi, à quel point un artiste doit-il garder le contrôle sur sa musique ?
Je pense que cela dépend des objectifs de l’artiste.
Dans mon cas, j’ai évidemment le contrôle sur ma musique mais Mike en est tout autant propriétaire de que moi. C’est un duo. Nous apportons autant l’un que l’autre dans le processus créatif.
Pour un artiste ne souhaitant pas partager cette phase avec d’autres, ceux qui aiment avoir un contrôle total, ceux qui ont la conviction que leur message et leur art ne peuvent pas être améliorés grâce à l’aide d’une autre personne, je recommande chaudement de se tourner vers un label indépendant. A contrario, pour ceux qui aiment créer des liens et travailler en équipe, et qui n’ont pas de soucis pour mettre leur égo de côté, alors l’association est la meilleure solution. Quelques-unes des plus belles chansons qui existent ont été créées par des duos ou des trios d’auteurs-compositeurs.
Tu te situes donc dans cette deuxième catégorie. Où en serais-tu si tu n’avais pas travaillé avec Mike ?
Je n’en serai pas du tout au même point, je pense. Depuis que je suis toute petite, mon seul objectif est de travailler dans la musique. Je ne savais pas si je deviendrais chanteuse, ou même si je serais sur scène ou en coulisses, si j’allais écrire des chansons, produire ou travailler chez un disquaire. Je pense que si je n’avais pas travaillé avec Mike, je travaillerais malgré tout dans l’industrie musicale. Mais où ? C’est la grande question !
Quelle est ta relation avec les réseaux sociaux ? Facebook ? Twitter ?
La page Facebook est gérée par l’entreprise qui s’occupe de mon site Internet. Ils mettent des liens vers tout ce que je fais et reprennent certains de mes tweets. De mon côté, je tweete tout le temps. Parfois, je m’arrête un peu pour éviter d’être sans arrêt dessus. Mais pour moi, Twitter est un moyen d’accéder directement à mes fans. Certaines semaines, j’ai beaucoup de choses à tweeter, d’autres semaines non. C’est important de ne pas devenir l’esclave de cet outil. Il faut le faire quand on en a envie et si on se sent à l’aise pour écrire, prendre des photos…
Justement, c’est le cas de certains artistes qui ne se sentent pas forcément à l’aise à l’idée de partager leur quotidien par ce biais.
De mon côté, je considère comme un privilège le fait d’être en contact direct avec les gens qui s’intéressent à ma musique. Ils peuvent me poser des questions, c’est instantané ! C’est surtout la première fois dans l’Histoire que l’on est capable de partager autant et aussi vite. C’est excitant d’être au cœur de cette étape majeure de l’évolution technologique. Je me sens très chanceuse de pouvoir profiter de cette révolution.
Terminons cette interview par quelques questions un peu plus légères…
En 2006, tu es entrée au Livre Guinness des Records pour avoir joué le concert le plus bas sous le niveau de la mer [-303m]. Quel sera ton prochain record ?
L’autre fois, mon mari regardait cette chaîne de Sports Extrêmes, vous savez, à la « Jackass » ! Il y avait un couple sur une moto et il avait des parachutes sur le dos. Ils ont pris de l’élan avec la moto et ils ont sauté d’une falaise. Les parachutes se sont ouverts. J’adorerais faire ça !
Ah oui, quelque chose de plutôt sportif, voire extrême ?
Je n’ai pas vraiment de hobbies « extrêmes » mais j’ai plutôt tendance à dire « oui » dès qu’on me propose quelque chose de nouveau !
Cela tombe plutôt bien car je te propose d’inviter 4 personnalités à dîner chez vous (vivantes ou non)! Qui invites-tu ?
Hum… j’aimerais inviter Beethoven car il a écrit mon morceau de musique préféré de tous les temps : « Moonlight Sonata ». J’ai entendu ce morceau pour la première fois à l’âge de 5 ans et il m’a complètement retournée. J’aimerais également avoir Oscar Wilde et Cate Blanchett, dans son personnage de Bob Dylan. Elle était incroyable !
Et enfin, j’aimerais convier la « Reine Tamar de Géorgie » qui est l’une des plus importantes figures nationales en Géorgie et l’une des premières femmes à avoir gouverné. Ce qui est étonnant, c’est qu’elle n’était pas appelée « Tamar, la Reine » mais « Tamar, le Roi », d’une part car la société était assez sexiste et d’autre part, parce qu’elle avait énormément de pouvoir.
Cela promet d’être un dîner intéressant…
Oui, je pense que les discussions vont être passionnantes ! (rires)
Merci beaucoup pour ton temps et tes réponses, Katie !
On te retrouve bientôt en concert en France ?
Oui !
J’étais vraiment très déçue de devoir repousser mes concerts en début d’année mais je reviendrai début Décembre pour une série de concerts et je serai à Paris le 2 décembre.
_________
Retrouvez également Katie Melua sur sa page Facebook, ainsi que sur Twitter !
Vous pouvez également acheter son album ci-dessous :
Encore une fois, un grand merci à David pour cette interview. ;)